Québec, le 8 octobre 2003. Le XIIe Congrès forestier mondial qui se terminait dimanche dernier a été l'occasion de multiples discussions sur les pratiques forestières et plus particulièrement sur la coupe à blanc des forêts québécoises et canadiennes. L'Ordre des ingénieurs forestiers du Québec croit qu'il est important de clarifier le sujet afin que le public et les intervenants comprennent bien de quoi il est question.
Une pratique qui s'applique encore et qui s'améliore
Dans la plupart des interventions publiques faites récemment, l'Ordre a remarqué que les différentes opinions exprimées divergeaient sur la définition ou sur l'existence même de la coupe à blanc. Il est important de comprendre que, peu importe le nom qu'on lui donne, la récolte de l'ensemble des arbres de dimensions commerciales sur des superficies forestières se pratique toujours au Québec, mais que ce type d'intervention n'est pas forcément néfaste pour le milieu forestier. Nous appelons cette pratique la « coupe totale ». Tout devient alors une question de choix des peuplements où on applique les coupes, de leur étendue, de leur répartition dans l'espace ainsi que des méthodes de travail utilisées.
Travailler avec la nature
Le premier principe à considérer est celui qui veut que la nature elle-même travaille souvent de la même façon par le biais des feux de forêts, des épidémies d'insectes ou du vent (renversements des arbres appelés « chablis »). Ces perturbations naturelles peuvent engendrer la mortalité de tous les arbres sur des superficies parfois très importantes et générer une nouvelle forêt dont les arbres auront majoritairement le même âge.
C'est à la suite de son diagnostic sylvicole que l'ingénieur forestier détermine si ce type de coupe est compatible avec la forêt où il intervient. Son choix ne relève donc pas d'un automatisme, mais d'une démarche documentée. Retenons donc que ce type de coupe peut se justifier sur le plan écologique, en plus de permettre des opérations forestières à des coûts abordables qui favorisent le soutien d'une activité économique essentielle pour le Québec. La forêt résineuse s'y prête généralement mieux que les forêts feuillues ou mélangées, car c'est là que des perturbations comme le feu, les épidémies d'insectes ou les chablis génèrent les plus grands impacts. C'est donc dans un choix judicieux des peuplements et des méthodes de travail que réside la solution à plusieurs des appréhensions légitimes du public.
Respecter le milieu naturel
Comme la coupe totale est une intervention humaine qui a des impacts sur les milieux naturels, l'Ordre croit qu'il faut s'assurer que ces impacts soient pris en considération, de façon à apporter les mesures d'atténuation nécessaires ou à retenir une autre méthode de coupe si les impacts sont jugés trop importants. C'est notamment le cas dans les zones de protection des cours d'eau où le maintien d'un couvert forestier permanent est jugé essentiel et où le Règlement sur les normes d'intervention en milieu forestier (RNI) pose des exigences très précises.
L'Ordre pose un regard sur les principaux enjeux reliés à l'utilisation de la coupe totale dans le cadre du Régime forestier québécois et formule des recommandations visant une amélioration de la situation actuelle (voir fiche technique ci-jointe). On y insiste sur l'importance de poursuivre les améliorations aux pratiques actuelles, notamment par une meilleure protection de la haute régénération et une meilleure répartition des coupes dans l'espace et dans le temps. On y insiste également sur la nécessité de se préoccuper des vieilles forêts et d'expérimenter de nouvelles méthodes comme la « coupe à rétention variable » . On y souligne enfin l'importance de prendre en compte la dimension du paysage dans la planification forestière.
Enfin, il faut également comprendre que la coupe totale peut et doit être appliquée en respect de la capacité de support du milieu forestier et en respect du potentiel de croissance et de production des sites, de façon à garantir le développement durable du secteur forestier autant sur le plan environnemental que sur les plans social et économique.
L'Ordre se penche depuis longtemps sur cet enjeu forestier important. C'est dans cette optique qu'il produisait en 1996 un « Document de travail sur la coupe à blanc », lequel proposait aux ingénieurs forestiers un cadre d'intervention prenant en compte des éléments critiques comme la dimension des coupes et leur répartition dans l'espace et dans le temps.
L'Ordre croit que plusieurs améliorations restent à apporter et il encourage l'État à compléter rapidement les études d'impact liées aux correctifs qu'il suggère dans la consultation qu'il mène actuellement sur les « Objectifs de protection et de mise en valeur du milieu forestier", afin qu'ils puissent être mis en application le plus tôt possible.
Fiche technique
Ordre des ingénieurs forestiers du Québec - Quelques considérations techniques concernant les impacts et l'utilisation de la coupe totale
Québec, le 8 octobre 2003. Comme la coupe totale est une intervention humaine qui a des impacts sur les milieux naturels, l'Ordre croit qu'il faut s'assurer que ces impacts soient pris en considération, de façon à apporter les mesures d'atténuation nécessaires ou à retenir une autre méthode de coupe si les impacts sont jugés trop importants.
Voici quelques considérations concernant les principaux impacts de la coupe totale :
- La régénération et les sols forestiers. La coupe avec protection de la régénération et des sols (CPRS) est la variante de la coupe totale actuellement appliquée sur l'ensemble du territoire québécois et elle constitue une des mesures les plus importantes à avoir été mises en place dans le cadre du Régime forestier depuis 1988. Le raffinement des équipements et des méthodes permet maintenant de protéger les trois quarts des superficies traitées et d'assurer une régénération naturelle des forêts immédiatement après la coupe sur la majorité des territoires. L'Ordre considère que cette approche est valable et il invite le ministère des Ressources naturelles, de la Faune et des Parcs du Québec à poursuivre le raffinement en encourageant des méthodes identiques permettant de mieux protéger la haute régénération et les arbres près d'atteindre des dimensions commerciales (petites tiges marchandes).
- Les forêts tout autour. Plusieurs espèces floristiques et fauniques sont affectées par la coupe de trop grandes superficies ou la juxtaposition de trop nombreux secteurs de coupe. C'est probablement cet élément qui a généré les plus nombreuses critiques de la coupe totale au cours des dernières années. Certaines améliorations ont été apportées depuis plusieurs années dans le cadre du Régime forestier, notamment pour réduire les superficies maximales autorisées. Ainsi, la dimension moyenne des coupes a sensiblement diminué au cours des dernières années.
De plus, depuis 2001, de nouvelles mesures sont en vigueur en matière de répartition des coupes dans l'espace et dans le temps, notamment au profit des espèces fauniques, comme celles qualifiées de « gros gibier », qui ont besoin du couvert forestier et dont on tente de reproduire les patrons d'habitats. Ces nouvelles normes visent à générer une « mosaïque forestière » qui ressemblerait plus à un découpage naturel des différents couverts forestiers plutôt qu'à la juxtaposition de nombreux secteurs de coupe. Des améliorations restent à apporter à ces nouvelles méthodes, notamment pour favoriser une meilleure diversité dans la dimension des coupes, et il est important que la recherche et l'innovation permettent d'en assurer le développement. L'Ordre souhaite que l'État, gestionnaire des ressources naturelles, s'assure que les nouvelles connaissances soient rapidement intégrées aux opérations sur le terrain.
D'autres provinces canadiennes ont par ailleurs expérimenté et certaines ont implanté une approche se rapprochant encore plus de la dynamique naturelle qu'on nomme « coupe avec rétention variable ». Celle-ci amène les exploitants à laisser des îlots boisés qui favorisent le maintien du patrimoine biologique. L'Ordre croit que cette approche mérite d'être regardée attentivement. - La biodiversité et les vieilles forêts. Un des risques à une application généralisée de la coupe totale est la disparition de forêts dépassant l'âge d'exploitabilité commerciale. La protection de vieilles forêts, nécessaires au maintien de la biodiversité, devrait figurer parmi les objectifs des plans d'aménagement forestier et les niveaux à retenir devraient être établis sur la base de consensus régionaux. Cette étape reste à franchir dans la majorité des régions du Québec.
- Le paysage. Au-delà des considérations biophysiques ou économiques, la forêt constitue un havre de paix et de ressourcement nécessaire à l'équilibre des humains. Qu'il s'agisse de villégiature, de chasse, de pêche, d'observation ou d'activités traditionnelles, leurs adeptes attendent du milieu forestier qu'il soit agréable à fréquenter et à contempler. Force est de constater que la coupe totale, même réalisée selon les règles de l'art, compromet la beauté des paysages surtout dans les premières années qui suivent son application. Les gestionnaires de l'État et les professionnels doivent être pleinement conscients de cette dimension et travailler à mieux la prendre en considération. L'équilibre entre les impératifs économiques et des valeurs intangibles comme le paysage restent à améliorer et l'Ordre souhaite que des outils plus performants d'intégration des considérations paysagères soient développés et intégrés au processus d'aménagement forestier québécois.
Tous les éléments abordés dans cette fiche technique font actuellement l'objet d'un consultation menée par le ministère des Ressources naturelles, de la Faune et des Parcs du Québec portant sur les « Objectifs de protection et de mise en valeur du milieu forestier ». On retrouve dans les documents de consultation plusieurs propositions qui vont dans le sens des propos qui précèdent et l'Ordre invite le Ministère à appliquer rapidement les mesures actuellement soumises à la consultation.